
C'était dans les années trente. La photo est floue, hélas. Mes parents partaient en bus d'Alger le matin et rentraient souvent le soir. Ils passaient une partie de la journée à Alger-plage et déjeunaient dans la maison familiale.
Papa ne s'exposait jamais au soleil. Blond, les yeux bleus, il disait lui-même qu'il ressemblait à un cachet d'aspirine.
Tandis que papa pêchait, je voyais l'aube se lever sur le sable d'Alger-plage. J'ai souvent pensé à Homère qui représentait l'aurore comme une déesse aux doigts de rose. Mer presque calme et bruit des vaguelettes qui faisait ressortir le silence. J'allais, pieds nus, à la rencontre du jour qui montait par degrés. Je savais que la journée serait trop chaude, que je boirais de grands verres de tisane fraîche au goût de réglisse et savourerais d'énormes tranches de pastèque dont le jus sucré coulerait sur mon menton. J'imaginais mon père s'exclamant :-Mange proprement ! Papa ne touchait jamais aux melons d'eau.

Alger-plage... Ma plage. Je ne puis me taire. J'évoque Boualem Sansal qui avait 13 ans lorsque nous sommes partis. Il a quand même étudié en France. Il vit dans son pays mais sa belle littérature est interdite. J'ai envie de citer Wikipedia :
"En 2005, s'inspirant de son histoire personnelle, il écrit Harraga, qui signifie "brûleur de route", surnom que l'on donne à ceux qui partent d'Algérie, souvent en radeau dans des conditions dramatiques, pour tenter de passer en Espagne. Pour la première fois, les personnages principaux sont deux femmes : Lamia, médecin pédiatre qui vit dans la misère à Alger, et Cherifa qu'elle recueille alors que cette dernière est enceinte de cinq mois. (Cherifa est arrivée chez Lamia sur conseil du frère de celle-ci, Sofiane, qui est en route pour entrer en Espagne clandestinement.) Encore une fois, le ton est très critique envers le pouvoir algérien : l'argent du pétrole coule à flot, mais l'argent étant accaparé par une minorité de dirigeants, le peuple est dans la misère et les jeunes vont tenter leur chance ailleurs, pendant que ceux qui ne peuvent pas partir restent dans la misère et la peur. "

Aujourd'hui le 21 juin 2012, voici une information toute fraîche :
"Boualem Sansal a obtenu cette année le Prix du roman arabe. Or, à la suite de son voyage en Israël du 13 au 17 mai pour la troisième édition du Festival international des écrivains à Jérusalem, dont il était l'invité d'honneur, le Conseil des ambassadeurs arabes qui ont créé ce prix à Paris a pris la décision, contre l'avis du jury, de ne pas le lui attribuer le 6 juin."
Les jeunes Algériens regardent vers la mer. Parfois ils restent immobiles, gardent le regard vague et ne rêvent de rien. D'autres ont de l'ambition, l'ambition pour eux, c'est avoir un salaire et un logement, élever des enfants, manger un bon couscous.

Nous ne nous sommes pas toujours fait la guerre. Nous avons vécu à côté et je suis souvent invité par des médecins et aussi par des gens du peuple. Je refuse poliment. Je ne sais plus où je suis... Ici ? Là-bas ? Je lis Verlaine. C'est chez Verlaine que je retrouve la paix :
La mer ! Puisse-t-elle
Laver ta ranc½ur, Laver ma ranc½ur
Ma mer au grand c½ur,
Ton aïeule, celle
Qui chante en berçant
Ton angoisse atroce, Mon angoisse atroce
La mer, doux colosse
Au sein innocent,
Grondeuse infinie
De ton ironie !

Avec papa, nous venions prendre des crabes sur ces rochers plats. Nous portions des espadrilles. Merci à l'auteur de ces photos. Dans ma mémoire, ces rochers étaient plus larges et plus plats. Maton -chez qui nous logions- allait cueillir des oursins que nous mangions goulûment. En échange, maman l'invitait à partager notre repas.

La dernière fois que j'ai vu Alger-plage, vite, en voiture, c'était en 1979 mais j'avais quand même passé la nuit à Cap Matifou. En retournant vers l'aéroport, nous sommes passés dans la ville de Fort de l'eau. Je me remplissais avec avidité les yeux des courtes images qui défilaient. La voiture allait trop vite. Nous ne pouvions pas nous arrêter. J'avais un avion à prendre. Ah, Fort de l'eau où j'avais terminé mon service militaire. Fort de l'eau où j'avais laissé de si bons souvenirs.
casini, Posté le jeudi 01 septembre 2016 11:33
magique !